Point métier : psychologue en milieu carcéral

Je vous propose ici l’interview d’une psychologue en milieu carcéral, un métier autant redouté qu’admiré. La psychologue que j’ai interviewée a souhaité garder l’anonymat, mais a cependant souhaité témoigner à cœur ouvert, alors si vous êtes intéressés par cette voie, c’est le moment d’être attentifs, elle vous donnera sûrement de précieux conseils !

Ne pas y aller par curiosité, au risque d’être très déstabilisé. C’est un univers très déstabilisant dans le mesure où ce qu’il donne à voir bouleverse les repères que nous avons installés sur l’extérieur.

Quel(s) cursus avez-vous suivi ?

Anciennement DEUG-Licence-Maîtrise de psychologie clinique orientation psychopathologie et DESS de psychologie de la santé.

Pendant combien de temps avez-vous travaillé en milieu carcéral ?

3 ans.

A quel moment de votre carrière professionnelle était-ce ?

Après une expérience en service hospitalier, avec des patients présentant des maladies chroniques et une expérience dans le domaine de la prévention.

Vous a-t-on immédiatement formée à ce qu’il fallait faire ou ne pas faire dans ce milieu particulier ?

Un entretien de coordination entre l’équipe hospitalière intervenant et les professionnels de santé déjà en poste en milieu carcéral a eu lieu, au préalable de toute intervention, afin de nous présenter l’activité de soins en place, comment articuler nos objectifs de travail, le lien à formaliser entre les deux équipes, etc… De plus, quelques consignes de sécurité ont été annoncées dès l’entrée.

Cela était-il plaisant de rencontrer des patients très différents d’un milieu clinique « standard » ?

Pour ma part, je ne pense pas que ce soient des patients « très différents ». Je ne parlerais pas non plus de « milieu clinique standard ». Je ne sais à quoi peut faire référence ce terme, puisque chaque environnement dans lequel évoluent des « patients » (donc des personnes susceptibles de devoir bénéficier de soins) est propre à une problématique pointée.

Donc pour les personnes incarcérées, je dirais davantage que ce sont des patients qui progressent dans un milieu singulier, tout comme peut l’être un service hospitalier spécialisé ou non, avec des missions bien identifiées, cependant j’aime mon métier et dans toutes circonstances.

Avec quelle sorte de prisonniers travailliez-vous ?

Les personnes incarcérées peuvent évoluer dans différents milieux :

  • En maisons d’arrêt : il s’agit alors de prévenus en attente de leur procès, mais aussi des détenus condamnés à une peine d’emprisonnement inférieure à deux ans.
  • En établissements pour peines : cette appellation désigne les prisons qui reçoivent les condamnés à des peines supérieures à deux ans.

Il existe donc dans cette catégorie :

  • les centres de détention : établissement au sein duquel les détenus ont un régime de détention principalement orienté vers la resocialisation.
  • les maisons centrales : établissement qui accueillent les détenus les plus « dangereux ».

Les missions sont donc essentiellement orientées vers la sécurité.

  • les centres de semi-liberté : établissement accueillant des détenus bénéficiant d’aménagements de peines, avec des autorisations de sorties, définies par le Juge.
  • Les centres pénitentiaires : établissements de taille conséquente abritant au moins deux quartiers régis par des régimes de détention différents, un centre pénitentiaire peut ainsi regrouper une maison d’arrêt, un centre de détention et/ou une maison centrale.

Maintenant la population carcérale étant en surnombre, ces données, somme toute « théoriques » ne peuvent être respectées telles quelles. Pour ma part, le lieu où j’intervenais était un Centre pénitentiaire regroupant une maison d’arrêt et un centre d’aménagement de peines. Il se compose de 4 quartiers : hommes, femmes, mineurs et SMPR (Service Médico-Psychologique Régional). Mon activité s’opérait principalement en maison d’arrêt.

J’intervenais avec deux collègues (une infirmière D.E. et un médecin), nous étions parfois accompagnés d’un des membres du service de soin, pour une question d’orientation dans l’espace (à l’intérieur, les repères spatiaux sont totalement modifiés) et parfois accompagnés d’une mise en relation avec les détenus.

Concernant ces derniers, les détenus sont identifiés par un numéro d’écrou, afin de préserver l’anonymat des personnes et les motifs de leur incarcération.

Nous intervenions sur le champ de la prévention, nous les rencontrions donc en groupe, sur la base du volontariat, en respectant les quartiers d’origine : donc des groupes d’hommes OU des groupes de femmes (pas de mineurs).

Dans le cadre de mes interventions, les patients avaient une libre expression, mais il m’est parfois arrivé d’effectuer des entretiens individuels.

Avaient-ils tous la volonté d’un travail thérapeutique avec vous ou étaient-ce seulement des décisions de justice ?

Il ne s’agissait pas d’un travail thérapeutique. Ce champ étant réservé aux personnels du SMPR. Je me situais dans une démarche de prévention.

Quel genre de travaux aviez-vous pour mission d’accomplir au sein du centre de détention ?

J’effectuais, avec deux collègues, des groupes d’information, de parole. Notre mission était de venir « en renfort » au personnel en place, afin d’échanger sur des thématiques bien identifiées et proposer ponctuellement des actes infirmiers-médicaux et psychologiques ciblés sur la prévention.

Le travail en milieu carcéral demande de longs moments de coordination avec l’équipe de soins du site, qui doit être partenaire, pour relayer nos actions en notre absence, diffuser l’information quant au contenu de ce que nous proposions, stimuler les détenus, rendre les groupes accessibles (il existe une procédure particulière lorsqu’un détenu souhaite un soin), autant d’éléments que nous ne pouvions pas gérer de « l’extérieur ».

Je répondais également positivement aux demandes d’entretiens individuels.

Avez-vous déjà eu à faire face à la violence de détenus (violence physique ou verbale) ?

Non, du moins pas dirigée vers moi.

Quelles sont les difficultés principales que vous avez rencontrées devant un détenu qui avait une obligation de soin ?

L’obligation de soin est un état qui se travaille en amont avec le détenu. Lors de mes interventions, je n’ai eu aucune difficulté, aussi bien en relation duelle, qu’en groupe. Les personnes étaient particulièrement intéressées, profitant peut-être aussi d’être en présence de professionnels extérieurs à la prison pour se livrer davantage sur leurs conditions de vie et leurs ressentiments.

Comment parveniez-vous à créer une alliance thérapeutique avec un détenu ?

Je pense que l’alliance thérapeutique se crée comme avec un autre patient. Le psychologue est alerte sur les mécanismes de défense en place ou dont le détenu pourrait user à son avantage, mais je ne pense pas que ce soit un frein, au contraire, c’est peut-être une source de dialogue, de ce qui se joue dans l’ici et maintenant (sans faire référence pour une fois à une histoire perturbante pour la patient). Bien souvent les détenus ont un parcours thérapeutique déjà chargé.

Comment gériez-vous l’échec face à certains « incurables » ?

Je ne parlerais pas d’échec, mais d’un processus dans lequel s’inscrit une personne, avec une histoire de vie singulière.

Le terme d’échec est connoté négativement. Pour ma part, je ne pense pas que ce soit opérant d’être dans une dynamique négative, avec des patients, qui le sont déjà (pour d’autres raisons).

Si c’était à refaire, le referiez-vous ? Pourquoi ? Que changeriez-vous ?

En ce qui me concerne, je le referais. Mais je peux concevoir, que cet univers puisse ne pas être accessible à tout un chacun. Outre le travail avec le détenu, l’environnement en lui-même peut être traumatisant avec un mélange :

  • de sentiment de dépossession matérielle et identitaire (peu de documents et aucun appareil électronique ne peut être introduit, tout comme les détenus, on est muni d’un badge avec papiers d’identité laissés à l’agent d’accueil).
  • d’oppression : passages successifs de sas, dans un ordre réglementaire, barbelé au-dessus de la tête…
  • de surveillance continuelle (cela va de soi dans cet univers, mais matérialisée par les miradors, les caméras… C’est une autre dimension !)

Pour un agent extérieur à la prison, cela peut parfois être plus difficile à gérer qu’un entretien avec un détenu.

Concernant ce dernier aspect, passées les craintes de violence peut être mais surtout de toutes les références aux représentations sociales que véhicule la société de l’univers carcéral, le travail avec le détenu est très enrichissant d’un point de vue clinique.

Quelle(s) formation(s) faut-il avoir pour reproduire votre parcours ?

Avoir impérativement des connaissances en psychopathologie afin de pouvoir avoir des bases de compréhension, de comportements que nous laissent voir les détenus et surtout ne pas se laisser submerger par un sentiment d’impuissance face à ces patients, éviter les interprétations hâtives et avoir des réponses adaptées.

Se renseigner aussi au préalable sur le fonctionnement carcéral, qui est une ville à l’intérieur de la ville, avec des règles du quotidien et de circulation bien identifiées, une hiérarchie entre détenus qu’il convient de connaître.

Que conseilleriez-vous, en tant que psychologue et avec votre expérience, à un élève en psychologie qui souhaiterait travailler dans le milieu carcéral ?

De ne pas y aller seul dans un premier temps. L’étayage est très important notamment pour la réassurance qu’il apporte.

Ne pas y aller par curiosité, au risque d’être très déstabilisé. Il est vrai que c’est un univers singulier qui attire les regards, pour autant, attention à comment on y rentre, mais surtout à ce qu’on fait des informations (de tout ordre : visuelles, olfactives, auditives), des échanges que l’on a pu avoir, une fois sorti ! C’est un univers très déstabilisant dans le mesure où ce qu’il donne à voir bouleverse les repères que nous avons installés sur l’extérieur.

C.B.

– Article initialement publié en février 2014 –

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